1
Introduction
Le propos de ce petit texte est de contribuer à mettre
en évidence la troublante unité de fonctionnement
de l'esprit humain dans ses oeuvres les plus étonnantes et
les plus mystérieuses, à savoir créatives.
Fidèle à cette merveilleuse méthode du mélange
des genres qui s'appelle surréalisme, j'entends que les
pages qui suivent paraissent incompréhensibles
et/ou du dernier mauvais goût à tous les
sacristains de la pensée et plus particulièrement
aux tenants de l'esprit de clocher des Beaux Arts et à leurs
fins homologues de l'esprit de clocher des Sciences, par l'action
conjuguée desquels le monde a pu devenir et demeurer l'épopée
déchirée et nauséabonde qu'on sait.
Ainsi donc - chose qui risque ces temps-ci de paraître
bien plus incongrue que de montrer son cul - je propose dans les
quelques pages qui suivent d'établir un rapprochement entre
une méthode d'ingénierie
d'une part, et les démarches intellectuelles de
l'un des plus remarquables initiateurs de l'art moderne et d'un
autre surréaliste et peintre connu d'autre part.
La bibliographie sur laquelle je m'appuie est d'une grande simplicité
puisqu'elle se réduit à trois ouvrages : l'appendice
du livre de Michel Lissandre consacré à la
méthode SADT, appendice écrit par le créateur
de la méthode, qui y explique comment et pourquoi cette méthode
fonctionne, "La Mariée mise à nu chez Marcel
Duchamp même" de Arturo Schwarz pour tout
ce qui concerne Duchamp, et le Catalogue de l'exposition
Matta de 1985 au Centre Pompidou pour ce qui touche à
Matta.
La totalité de l'inconographie directement accessible relative à Matta
que j'ai utilisée est constituée de liens hypertexte
vers www.matta-art.com et
l'oeuvre de Matta est le plus souvent si explicite et si riche qu'elle
permet presque de se passer de mots.
Tel n'est pas exactement le cas pour Duchamp dont l'oeuvre
comme on sait appartient davantage au domaine de l'intelligible
qu'à celui du rétinien, même télévisuel,
et qui n'est ordinairement intelligible qu'à ceux qui veulent
bien payer un peu de leur personne.
On trouvera au bas de ces pages quelques liens et la modestie d'usage ne m'empêche
pas d'en mentionner quelques autres
Enfin il me faut signaler qu'un article assez récent de
la revue Pour La Science mentionne l'intérêt de Salvador
Dali pour les aspects multidimensionnels de la peinture, intérêt
où l'auteur suggère de voir l'influence de Marcel
Duchamp.
1
Au Foyer de SADT
La méthode SADT est une méthode d'analyse destinée
à permettre à des ingénieurs d'élaborer
les spécifications d'un système entièrement
nouveau, c'est à dire un système que nul n'a jamais
vu, ni même à proprement parler, conçu.
Le problème est donc de rassembler suffisamment d'informations
pour construire l'obscur objet du désir. Il faut par
conséquent accumuler
beaucoup plus de données qu'on n'en obtiendrait si on pouvait
voir le dit objet pour de bon, puisqu'alors certaines parties éventuellement
essentielles du système resteraient cachées aux spectateurs.
Dans le cas d'un système principalement logiciel, la chose est encore bien plus épineuse,
puisque le logiciel, comme on sait, ne se voit pas.
SADT constitue donc en quelque sorte, une méthode de vision
étendue.
Les fureurs de l'esprit - Matta - 1957
D'un point de vue procédural, la méthode SADT se
fonde sur la pratique d'interviews et l'itération de cycles
auteur-lecteurs au cours desquels, l'auteur (qui peut et le
plus souvent
doit être un collectif) :
- écrit ce qu'il
croit savoir à un moment donné du système à
construire,
- puis fait relire et critiquer son travail par les
lecteurs,
- intègre ensuite ce qu'il a compris de leurs remarques
dans une nouvelle version du texte,
et
ainsi, jusqu'à ce que tous soient convaincus que l'essentiel
a été dit.
SADT est donc aussi une méthode d'écriture
collective.
Si l'on additionne les deux caractéristiques de méthode
de vision étendue et de méthode d'écriture
collective, on voit que l'on n'est pas très loin de ce
que les surréalistes ont pu pratiquer en termes de jeux,
graphiques, textuels ou autres.
Du point de vue des principes mis en oeuvre, l'instigateur de
la méthode explique dans la postface du livre de Michel Lissandre
pourquoi l'approche
utilisée "marche". Par "marche", il faut
entendre "marche presque à tous coups" puisqu'en matière
technique, rien n'est jamais sûr que la pratique n'ait
concrètement prouvé (y compris que ça ne marche pas).
L'inventeur de SADT explique que chacun des acteurs dans le cours
de la mise en oeuvre de la méthode parle du système
à élaborer selon son point de vue particulier, et
que la procédure mise en oeuvre dans SADT finit par contraindre
chacun de ces points de vues individuels à s'assembler de
manière cohérente avec les autres points de vues en
présence, de sorte que que le système finit par apparaître
à tous les participants avec le degré de précision
suffisant au point focal vers lequel finissent par converger toutes
les visions.
On voit que cette méthode n'est pas non plus très
éloignée de l'approche cubiste. Chaque point de vue singulier constribue ainsi à illuminer
un des aspects - visuel ou pas - d'un objet non existant mais à
naître, objet qui est à cet moment aussi virtuel que l'on
voudra, puisqu'il reste non seulement à construire ou à
simuler, mais
à penser même.
A la fin du processus, l'objet désiré finit généralement
par émerger d'une manière assez nette pour que chacun
s'accorde à considérer que oui, c'est bien
de ceci qu'il s'agit. Le ceci en question se trouvant alors suffisamment
délimité pour finir par constituer la matière
d'un engagement formel des parties en présence, autrement
dit, dans le cadre du monde industriel,
d'un contrat.
Ce qui s'est trouvé ainsi progressivement révélé,
ce sont les différentes dimensions de l'objet, et
c'est pourquoi j'ai parlé de méthode de vision
étendue tout à l'heure.
Et
quoique cela puisse éventuellement paraître "évident" à
certains esprits peu curieux, il y a tout de même lieu de
s'étonner un peu qu'une simple méthode puisse faire en quelque
sorte "apparaître" un objet si entièrement
et souvent si radicalement nouveau que nul ne sait même -
à priori - s'il sera un jour possible de le construire.
Il en va en l'espèce et très exactement de la très surprenante
puissance du langage humain dans le monde, puissance qui agit ici
à un degré beaucoup plus profond et fondamental que
la pourtant déraisonnable exactitude des mathématiques
dont on s'étonne souvent si facilement, puisque ce qui
est en question ici, c'est bien la création ex-nihilo
d'un objet d'efficacité concrète et non pas simplement
l'exactitude d'une abstraction ou - dit-on - d'une idée platonicienne.
D'un autre côté, il est amusant d'imaginer que si les participants étaient
soudain rassemblés et transportés par exemple par
le biais d'un peu de magie dans une pièce sombre aux abords
d'un guéridon, on pourrait au fond songer qu'il cherchent à
invoquer quelque esprit au moyen de méthodes spirites. Ou
encore, et de manière plus adéquate sans doute, on
ne peut s'empêcher de songer à ces aborigènes
australiens qui se réunissent sous l'arbre dédié
à cet effet pour rêver leurs enfants.
2
Duchamp - Les Neuf Tirés
A l'intérieur
du Grand Verre, qui constitue l'oeuvre fondamentale de Marcel Duchamp,
les Neufs Tirés sont situés dans la
partie nord-est du Domaine de la Mariée. Quant
au propos de ce texte, leur
principal intérêt est de révéler la profondeur de
pensée
que Duchamp avait atteinte quant au concept de dimension.
La Presse et les Arts ont
pris l'habitude de faire un argent facile en exploitant des sujets
tels que la quatrième dimension, de sorte qu'il est devenu
clair et admis par tous que le monde "a" trois ou quatre
dimensions et pas davantage, le
temps se trouvant étrangement être la dernière
dimension prise en compte, comme s'il avait fallu aux mortels attendre le 20
ième siècle pour accepter que le temps puisse être
de quelque intérêt dans la description du monde.
Pourtant, assez curieusement,
malgré les développements récents relatifs
au concept de fractales introduit par Benoit Mandelbrot, et en dépit
de la remarquable popularité des fractales elles-mêmes,
l'idée
que des objets puissent être de dimension non nécessairement
entière mais éventuellement fractionnaire ou même
irrationnelle, ne semble pas remporter un succès équivalent
à l'idée de quatrième dimension.
Cependant, l'approche utilisée par
Duchamp dans Les Neufs Tirés montre que vers 1920,
Duchamp était tout à fait conscient de la part de
convention sur laquelle se fonde le concept de dimension.
Après
s'être consacré un moment à une des études du temps les
plus minutieuse qui ait eu cours en peinture, Duchamp s'était
mis en devoir de visualiser des dimensions possibles, mais auquelles personne ne songe ordinairement.
Pour cela - mais il faut dire aussi cela devient tentant un jour où l'autre lorsqu'on
emploie un matériau comme le verre - il lui vint l'idée
de peindre au canon.
Arturo Schwartz décrit
ainsi comment cela est arrivé :
"Cette zone, qu'on appelle
"Les Neufs Tirés" est percée de neuf
trous. Duchamp fournit davantage d'explications dans les notes 83, 84 et 85.
Afin de mettre en oeuvre les idées contenues dans ces notes,
Duchamp prit une allumette avec un petit peu de peinture fraîche
au bout, et visa une cible avec un petit canon pour enfant ("plus
imparfait est l'instrument et mieux on mesure l'adresse" à
partir de trois différent points. Cette opération
fut répétée neufs fois. Trois fois par trois
fois à partir du même point.". A chaque impact,
l'allumette laissait une petite trace de peinture, et en ces neufs
points on perça un trou dans le Verre. "La figure
résultante sera la projection (selon la dimension d'adresse)
des principaux points d'un corps tridimensionnel. Avec une adresse
maximum, cette projection serait réduite à un seul
point, la cible. Avec une adresse ordinaire, cette projection sera
une démultiplication de la cible. (Chacun des neufs points
- images de la cible - aura une mesure de distance. Cette distance
n'est rien d'autre qu'un enregistrement qui peut être noté
conventionnellement...) En général, la figure résultante
est l'applatissement visible (capturé dans l'action) du
corps démultiplié tandis que la cible est un
équivalent du point de fuite (en perspective)"".
L'objectif
de Duchamp apparaît donc clairement d'introduire et de représenter
une dimension supplémentaire - dans ce cas précis,
l'adresse - et d'explorer les concepts associés quant
à la perspective. Ce que Duchamp montre en particulier ici,
c'est que le concept de dimension est tout sauf ontologique. Il
ne s'agit en fait que l'un des éléments d'une métaphore,
une des caractéristiques d'un modèle.
En choisissant un aspect du monde
qui n'est pas couvert par la Physique - et il intéressant
de noter qu'aujourd'hui encore, il n'existe pas d'explication satisfaisante
de l'adresse ni en Physique ni en Mathématiques - Duchamp rend évident que la construction
d'un modèle et le choix de ses composantes sont contraints
par ceux des aspects particuliers du monde que l'on décide
de considérer.
Ainsi,
dès lors que l'adresse
intervient dans le champ d'une étude, on peut
être amené très naturellement à ajouter
une dimension particulière à un modèle afin
de représenter les variations de ce paramètre, puisque
le concept de dimension n'est après tout rien d'autre que
la représentation d'une mesure. L'introduction
d'une dimension supplémentaire est à son tour susceptible
de provoquer une modification
de la représentation et de la perception des objets usuels et du
monde lui même.
Le choix de l'adresse
comme dimension additionnelle et du tir au canon comme
révélateur n'est d'ailleurs pas absolument arbitraire,
mais pourrait-on dire, plutôt éducatif dans son
incongruité même. L'un et l'autre tendent à montrer
que l'introduction d'un concept tel que celui de dimension s'inscrit
dans un projet,
ou pour mieux dire, dans une vision certes, mais en quelque
sorte, un projet et une vision aussi arbitraires qu'on veut.
On voit immédiatement le lien qui unit ce type de réflexions
à l'idée de Read-Made qui elle aussi ne manifeste
rien d'autre que la décision pure de l'artiste de considérer
ou non, tel ou tel objet comme un objet d'art.
Ainsi, la remarque suivante de Lebel, relative
aux "Stoppages-Etalons", s'applique tout aussi bien
aux "Neuf Tirés": "Duchamp nous
donne quelques indices quant à ses intentions , parce qu'ici,
à nouveau, sous les apparences d'une entreprise difficile quelque chose prend forme qui est
de l'ordre d'une offensive contre la réalité logique.
L'attitude de Duchamp est toujours caractérisée
par le refus de se soumettre aux principes du réalisme commun
et si ce refus est exprimée au moyen d'une sorte de moquerie,
la révolte n'en est que renforcée parce qu'elle tire
après elle dans l'incertitude du ridicule des vérités qu'il
était auparavant impossible de critiquer sans être considéré
comme fou. La méthode de Duchamp,
sous son apparente désinvolture s'avère
subtilement machiavelique. En opposant des lois teintées
d'humour aux lois soi-disant sérieuses, il jette un doute
sur la validité absolue de ces dernières. Il les pousse
doucement vers l'approximatif où elles construisent un système
dont l'architecture peut apparaître claire à tous."
Et il apparaît donc que ce qui se trouve -
non pas représenté, mais - désigné,
ce n'est plus du tout de la physique amusante, ce n'est même
plus "un monde qui serait possible en affaiblissant un
peu les lois de la Physique". Ce qui est dit à voix haure, ou plutôt
ce qui peut
être montré du doigt dans le Grand Verre, c'est que
les caractéristiques sur lesquelles notre vision est construite pourraient bien se
trouver fondées sur des bases arbitraires.
Dès lors que le
doute est jeté sur la nature absolue
des fondations de la vision, un projet s'ouvre, comme une liberté neuve
et souveraine, le projet fantastique et proprement inouï où se mêlent
le désir et le plaisir de changer, de révolutionner ces fondations.
C'est à ce projet que Duchamp aura oeuvré toute sa vie avec une
constance et une cohérence proprement remarquables.
3
Plongements
Qu'arrive-t-il aux Neufs
Tirés lorsqu'on les transpose dans des espaces ayant
un nombre supérieur de dimensions? Si on pose que les Neufs
Tirés sont une expérience relative à la dimension
0 puisque la cible visée par le canon est en fait un point, c'est
à dire un objet sans longueur, largeur, ni hauteur, et
puis si l'on examine le Grand Verre dans son ensemble, on fnit par s'apercevoir que Duchamp a pris la peine de nous faire
partager l'expérience du passage des Neufs Tirés
en dimension un et en dimension
deux (au moins).
Les Stoppages étalon constituent
la transposition des Neufs Tirés en dimension 1 et les Pistons
de courant d'air aussi appelés Voile Acté
(Voie Lactée) sont la transposition des Neuf Tirés
en dimension 2. J'avoue m'être senti un peu éberlué
lorsque je me suis rendu compte de cette correspondance et même
avoir douté un peu de moi-même jusqu'à ce que
je découvre dans un coin obscur du livre de A. Schwartz que
quelques autres au moins avaient souffert avant moi de la même
berlue : "Richard a établi un parallèle intéressant
entre les 3 Stoppages étalon et les deux autres éléments
en question: "les Tirés... sont des déviations
d'un point - la cible. Les 3 Stoppages-étalon... sont des
modifications d'une ligne. Les formes des Pistons de courant d'air...
des changements opérés dans un plan"".
[R.H.][ in A.S. P 154]
Passons pour l'instant sur les détails... Il reste qu'en
augmentant lentement le nombre de dimensions considérées,
Duchamp introduit également un autre changement de perspective
étonnant dans une démarche dont je ne m'étais pas
encore récemment trouvé en mesure de m'expliquer le
mouvement, même si je croyais avoir bien compris ce qui se passe
dans la suite.
Dans les Neuf Tirés, Duchamp indique
qu'il s'intéresse à l'adresse, c'est à
dire en somme à la mesure de l'intentionnalité humaine.
C'est cela qui se trouve enregistré à cet endroit
dans le Grand Verre. Dans les trois Stoppages-étalon, il
enregistre au contraire le hasard de la chute de trois segments
de fil de un mètre tombant d'une hauteur de un mètre.
De même, dans les Pistons de courant d'air, il fixe au moyen
de la photographie ce qui résulte de l'action du hasard
sur un quadrillage de tissu (gaze) placé devant une fenêtre et agité par le vent.
Pourquoi diable Duchamp passe-t-il ainsi subrepticement
d'une mesure de l'intentionnalité humaine en dimension 0
à des mesures de son contraire, de son opposé, de
son complémentaire, en d'autre termes du hasard
dans les dimensions supérieures ? Il y a une dizaine
d'années, lorsque j'ai commencé ce texte (1997) je
me désolais de n'avoir pu suivre ici le fil de sa
pensée. Pourtant sachant que Duchamp fut un passionné
d'échecs - jeu déterministe par excellence - mais qu'il
s'intéressa aussi à la roulette - jeu probabiliste par
excellence - on pouvait augurer que ce basculement devait avoir un sens. Un sens qui devait se trouver fortement lié aux efforts que Duchamp
a toujours fait pour atteindre à l'indifférence.
Comme on l'a vu, la dimension d'adresse est pour Duchamp destinée à révéler la nature conventionnelle
du concept de dimension. Cependant, le négatif de l'adresse - et
Duchamp le sait bien - c'est très justement le hasard. L'adresse
est en somme une sorte de mixture de déterminisme
(l'intentionalité sans laquelle l'adresse n'est pas
définie) et de hasard sans lequel elle n'a pas de sens non plus.
Mais le concept d'adresse lui même, repose sur une convention. On
ne peut en juger que par rapport à l'objet à atteindre.
Qui lui même est aléatoire et même doit l'être si l'on veut mesurer non pas une adresse relative à quelque chose, mais l'adresse dans l'absolu c'est à dire indépendamment d'un but quelconque.
L'espace du dé - Matta 1999
Si l'on
résume le mouvement, on voit que Duchamp nous désigne le
concept de dimension comme convention à l'aide... D'une
convention qu'il a au préalable épurée au maximum.
Or que reste-t-il d'une convention épurée au maximum ? En
première approximation, il n'en reste apparemment pas
grand'chose d'autre que du hasard. Et en seconde approximation,
peut-être pas parce que tout de même, tout au fond, il
reste quelque chose de l'ordre d'un choix absolu. Celui là
même qui constitue le Ready-Made.
Par ailleurs il
faut noter que tout ceci se trouve exprimé quant à la
dimension 0 et qu'en dimension 0, le nombre de degrés de
liberté est nul. Si l'on augmente le nombre de dimensions, le
nombre de degrés de liberté augmente également. Il
y a donc lieu de penser que l'adresse s'en trouve bien malade, en ce
sens que la part de déterminisme qui la constitue diminue.
Face à face de l'intelligence et du hasard - Matta 1986
D'où les conclusions de Duchamp à la fois quant à la valeur du choix absolu qui est le Ready-Made et quant à la nécessité d'une attitude d'indifférence.
Si maintenant,
passant outre à ce qui m'apparaissait voici 10 ans comme une
temporaire impasse, on poursuit le mouvement de Duchamp vers des
espaces dont le nombre de dimensions est de plus en plus grand, on voit
survenir un autre basculement de perspective.
Strange situation (cube ouvert) - Matta 1947
A force d'ouvrir l'espace
du peintre vers l'infini, à force par conséquent de
considérer
des oeuvres d'un nombre de dimensions de plus en plus grand, il arrive un
moment où l'auteur de l'oeuvre finira par se retrouver...
dedans ! Et le spectateur aussi, évidemment.
Abrir el cubo y encontrar la vida - Matta 1969
De
là tous ces schémas préparatoires jouant sur
la dualité intérieur/extérieur qui précèdent
l'irruption de Etant donnés... la glorieuse approximation démontable de Philadelphie... Ces
exercices sont faciles à repérer dans l'oeuvre de
Duchamp, mais il n'est pas si simple de comprendre à quoi
ils correspondent et pourquoi ils apparaissent précisément
à ce moment de la dialectique qui parcourt sa pensée. Pourtant, dès
que l'on suit en soi même la course aux dimensions à laquelle nous invite
le Grand Verre, on voit très bien que Duchamp doit
en venir à rechercher comment une création et une vision
externe de l'oeuvre se transforment (basculent) en création et
vision internes lorsque le nombre de dimensions augmente. D'où
ce questionnement sur l'inérieur et l'extérieur que l'on
peut lire au travers de Objet-dard,
Coin de chasteté, Feuille de vigne femelle
et de quelques autres études préparatoires à peine
moins évidentes dont en particulier les divers montages liés
aux expositions surréalistes et l'illustration réalisée pour le livre
Face cachée du dé.
Or dès
que le créateur et le spectateur se trouvent ainsi jetés
à l'intérieur de l'oeuvre, projections pour
ainsi dire de "quelque chose" de dimension supérieure
qui est ou qui contient l'oeuvre, une question parfaitement
incontournable se pose à savoir : qu'est-ce qu'ils font là
?
C'est la question que pose
Duchamp dans Etant donnés....en
toute netteté, en toute immédiateté. Question
éthique. Question donc où l'on renoue avec
l'intentionalité mise en jeu dans Les Neufs Tirés. Question aussi qui constitue
comme une sorte de retournement de celle qui se trouvait subrepticement
posée dans Jeune home triste dans un train où
Duchamp et le spectateur (l'un et l'autre étant le jeune
homme triste) se regardent traverser l'oeuvre qui bien que de
dimension deux, baille littéralement sur des espaces et des
oeuvres d'ordre plus élevé qui au bout du compte finissent
par engloutir le peintre, le spectateur et une sorte de projection
bidimenssionnelle ou tridimensionnelle de l'oeuvre véritable
- le tableau ou d'autre fois le musée lui même - projection qui constitue l'indice ou le signe de l'oeuvre
véritable, l'ancre de cette oeuvre dans les basses dimenions.
Et c'est donc ainsi, dans
le droit fil de sa réflexion sur une peinture multi-dimensionnelle
que l'éthique fait irruption dans la pensée
de Duchamp qui fut autrement tout sauf un moraliste et
qui cultivait si consciencieusement l'indifférence, particulièrement
dans le choix de ses ready-mades, qu'il faut bien s'attendre à
ce que son éthique soit d'une nature assez
particulière. Et c'est pourquoi je soupçonne que le
passage de l'intentionnalité au hasard qui se produit entre
les Neuf Tirés et les Stoppages-étalon est un des
moments critiques dans le mouvement de la pensée de Duchamp.
Il est intéressant de noter que ce basculement semble simultanément géométrique et probabiliste.
Est-ce cohérent ? Peut-être ou peut-être pas, si
l'on se souvient que la géometrie euclidienne est
décidable (Tarski), ce dont l'intuition avait conduit David
Hilbert - qui avait axiomatisé et formalisé la
géométrie euclienne - a penser que les
mathématiques dans leur ensemble pouvaient l'être aussi,
hypothèse dont Kurt Gödel et Alan Turing ont montré
qu'elle était inexacte, résultat plus récemment
enrichi par exemple par G. Chaitin.
Quant au fait que cette irruption de l'éthique
dont Etant donnés... constitue à la fois le
témoignage et l'aboutissement final ait été
fondamentale dans l'oeuvre et la vie de Duchamp, il suffit de se
souvenir qu'il a fortement insisté pour que cette approximation démontable
soit présentée et considérée comme sa
dernière oeuvre pour balayer tous les doutes.
Mais à vrai dire, il y avait aussi dès
l'origine un autre
mode d'existence de l'éthique chez Duchamp, une exigence
pour ainsi
dire fondatrice, inaugurale. En formant en toute lucidité
le projet de briser à jamais les parois de la prison des
peintres, puis en ouvrant dans ses oeuvres et dans les
faits l'investigation picturale - la pensée spatiale
humaine - à une liberté inouïe, il lui a bien
fallu élaborer un mode de déplacement, une méthode d'exploration de cette
liberté.
C'est une sorte de tautologie puisque d'une part,
car comme l'on montré les mathématiciens, l'espace ne
tient jamais qu'aux moyens qui permettent de l'explorer et qui littéralement
le construisent (Cf. Henri Poincaré, "Pourquoi l'espace a trois dimensions"), mais d'autre part, l'éthique, en ce qu'elle peut avoir de fondé
biologiquement, comme ensemble de règles tendant à
préserver ou augmenter la Vie, peut être considérée
comme une méthode
d'exploration du temps.
En ce sens, l'éthique n'aura jamais fait
défaut à Duchamp qu'un seul et unique instant : celui
où la pendule nous arrive de profil.
4
Passages
S'il
peut d'abord sembler relativement aisé de passer mentalement
d'espaces en espaces comme Duchamp a pu et a dû le faire,
ce n'est pourtant le cas que pour autant que l'on oublie un peu
hypocritement de se poser la question en quelque sorte concrète du passage.
Et cependant,
il faut bien un jour ou l'autre se résoudre à passer
pour de bon, c'est à dire à traverser
sans sauter. Aussi Duchamp était
tout à fait conscient de ce qu'il faisait lorsqu'il proposa un jour cette
définition de l'inframince : "J'ai
choisi exprès le mot mince qui est un mot humain et affectif
et non une mesure précise de laboratoire. Le bruit
ou la musique faits par un pantalon de velours côtelé
comme celui ci quand on le fait bouger est lié au concept
d'inframince. Le creux dans le papier entre le recto et le verso
d'une fine feuille... A étudier !...C'est une catégorie
dont je me suis beaucoup occupé pendant ces dix dernières
années. Je pense qu'au travers de l'inframince, il est possible
d'aller
de la seconde à la troisième dimension"
On voit les précautions épistémologiques dont s'entoure
Duchamp pour se lancer dans l'aventure. Ce n'est pas tant qu'il
récuse "le laboratoire", mais c'est plus simplement
qu'il préfère - par honnêteté intellectuelle
en somme - s'en passer.
On peut sourire peut-être
des chemins qu'emprunte Duchamp pour se risquer pour ainsi dire
dans les dessous de l'épaisseur, mais il reste que la question
qu'il pose, dont je ne sache pas que quiconque l'ait exprimée
si fortement avant lui n'est pas dénuée de sens.
Benoît Mandelbrot
nous a montré que des concepts de dimensions de nature
fractionnaires ou même irrationnelles n'avaient rien
d'inconvenant d'un point de vue mathématique (autrement dit, par
exemple, que des objets géométriques relativement usuels
pouvaient validement être considérés comme
étant de dimension 1/2 ou racine carrée de 2, ou pi... re.). Aussi ne
serait-il peut-être pas stupide de réhabiliter l'idée
d'inframince sur laquelle s'interrogeait si fort Duchamp et de rêver qu'il soit
possible de construire une suite graduée de fractales de
dimensions croissantes par laquelle on pourrait passer pour ainsi
dire
"en douceur" d'un monde bidimensionnel à un monde
tridimensionnel.
D'ailleurs qui sait vraiment ce qui se trame dans l'épaisseur
d'une feuille de papier à cigarettes ?
5
Matta - Voir l'Invisible
Matta a cherché très tôt à (se) représenter
des espaces d'un nombre de dimensions supérieur à l'espace usuel.
L'une des premières approche qu'il a utilisées a consisté
à employer des lignes de niveau ou des quadrillages courbés,
comme Duchamp l'avait suggéré dans "Les Pistons
de Courant d'Air", mais aussi comme il était d'usage
dans les illustrations scientifiques de l'époque lorsqu'il
s'agissait de représenter la courbure de l'espace. On trouve
trace de l'emploi de cette méthode dans les oeuvres suivantes
Sans titre, 1937
Matta - Catalogue de l'exposition Matta au Centre Pompidou
en 1985 - P86
Sans titre, 1937
Matta - Catalogue de l'exposition Matta au Centre Pompidou
en 1985 - P86
Sans titre, 1938
Matta - Catalogue de l'exposition Matta au Centre Pompidou
en 1985 - P88
6
La Vision Eclatée
Presque au même moment, un autre cheminement a conduit
Matta a multiplier les perspectives et les points de fuite dans
ses oeuvres, les faisant ressembler aux jeux de scènes simultanées
mis en oeuvre dans les représentations des Mystères
du Moyen Age. De manière similaire à ce qui advient
dans les vitraux des cathédrales, les différentes
"scènes" des tableaux de Matta vers cette époque
sont souvent séparées les unes des autres par des
cernes noirs (il s'agit presque d'une convention, d'un signe). Parmi les oeuvres représentatives de cette
approche figurent les suivantes:
Le Forçat de la lumière, 1937
Matta - Catalogue de l'exposition Matta au Centre Pompidou en
1985 - P84
Sans titre, 1938
Matta - Catalogue de l'exposition Matta au Centre Pompidou en
1985 - P87
Space travel (Star Travel), 1938
Matta - Catalogue de l'exposition Matta au Centre Pompidou en
1985 - P87
Morphologie psychologique, 1939
Matta - Catalogue de l'exposition Matta au Centre Pompidou en
1985 - P93
Rain, 1940-1941
Matta- Catalogue de l'exposition Matta au Centre Pompidou en
1985 - P96
Invasion of the Night, 1941
Matta - Catalogue de l'exposition Matta au Centre Pompidou
en 1985 - P97
The Earth is a Man, 1942
Matta - Catalogue de l'exposition Matta au Centre Pompidou en
1985 - P 120
7
Les Eclats de la Vision
Se trouvant tous deux aux Etats Unis pendant la seconde guerre mondiale, Matta et
Duchamp déjeunent souvent ensemble. Bien qu'on
n'ait pu entendre ce qu'ils ont pu se dire, il n'est pas très
difficile de voir le résultat de ces conversations dans l'oeuvre
de Matta.
"Les notes de Duchamp donnent idée de ce qu'il
a entrevu : la quatrième dimension, et peut-être même
un espace à n dimensions. Mais ces notes de La boite verte
et le panneau de La mariée n'en donnent qu'une idée.
La peinture de Matta tente de donner image de l'idée, elle
entend malgré tout donner à voir, nouer l'abstrait
et le concret. Ce serait l'alchimie de la chimie de Duchamp"
Jean Philippe Domecq Catalogue
exposition Matta au Centre Pompidou 1985 - P74
On peut supposer que Duchamp se donna la peine d'expliquer à
Matta les tenants et aboutissants du Grand Verre. Mais ce qui fascina
d'abord le plus Matta, dans le Grand Verre, ce ne fut pas
le travail de Duchamp, mais celui du hasard. En l'espèce,
les lignes merveilleuses qui vinrent ennoblir et parfaire le Grand
Verre lorsqu'il se brisa durant son transport le long de routes mal entretenues aux
Etats Unis. Les éclats du Grand Verre et ce qu'ils suggéraient
comme approche possible dans la question des dimensions se propagèrent
au sein de l'oeuvre de Matta dans (au moins) les travaux suivants.
On m'écoute, 1942
Matta - Catalogue de l'exposition Matta au Centre Pompidou
en 1985 - P39
The Bachelors, Twenty Years After, 1944
Matta - Catalogue de l'exposition Matta au Centre Pompidou en
1985 - P 40
Le Pendu, 1942
Matta - Catalogue de l'exposition Matta au Centre Pompidou en 1985
- P41
Membranes of Space, 1943
Matta - Catalogue de l'exposition Matta au Centre Pompidou en 1985
- P42
Composition in Magenta. The End of Everything, 1942
Matta - Catalogue de l'exposition Matta au Centre Pompidou en 1985
- P42
Redness of Lead, 1943
Matta - Catalogue de l'exposition Matta au Centre Pompidou en 1985
- P46
Locus Solus, 1941-1942
Matta - Catalogue de l'exposition Matta au Centre Pompidou en 1985
- P99
L'année 44, 1942
Matta - Catalogue de l'exposition Matta au Centre Pompidou en 1985
- P112
Years of Fear, 1941-1942
Matta - Catalogue de l'exposition Matta au Centre Pompidou en 1985
- P114
Prince of blood, 1943
Matta - Catalogue de l'exposition Matta au Centre Pompidou en 1985
- P116
La Vertu noire, 1943
Matta - Catalogue de l'exposition Matta au Centre Pompidou en 1985
- P117
Eronisme, 1943
Matta - Catalogue de l'exposition Matta au Centre Pompidou en 1985
- P118
Le Vertige d'Eros, 1944
Matta - Catalogue de l'exposition Matta au Centre Pompidou en 1985
- P119
The Onyx of Electra, 1944
Matta - Catalogue de l'exposition Matta au Centre Pompidou en 1985
- P121
Les Grands Transparents, 1942
Matta - Catalogue de l'exposition Matta au Centre Pompidou en 1985
- P131
Science, conscience et patience du vitreur, 1944
Matta - Catalogue de l'exposition Matta au Centre Pompidou en 1985
- P139
X-Space and the Ego, 1945
Matta - Catalogue de l'exposition Matta au Centre Pompidou en 1985
- P141
8
Les Escaliers de l'Esprit
Ayant exploité les éclats du Grand Verre avec "science,
conscience et patience", Matta poursuivit sa traque au travers de volées
d'escaliers jetées dans tous les sens sur la toile. Ces jeux d'escaliers apparaissent
aussi dans l'oeuvre de Escher. Chez Matta, il s'agit peut-être d'un clin d'oeil de
réminiscence aux "Nus descendant un escalier" de Duchamp, mais cela
a pu aussi lui être suggéré par le fait que les éclats du Grand
Verre, rappellent sous certains angles de vue les marches d'un escalier en colimaçon.
Il se peut encore que Matta comme Escher se soit mis à la recherche de
voies de passage entre des espaces de dimensions différentes,
un peu comme Duchamp qui tentait de résoudre ce type de
question à l'aide du concept d'inframince. De cette période des escaliers, témoignent (au
moins):
Etre avec, 1945
Matta - Catalogue de l'exposition Matta au Centre Pompidou en 1985
- P143
The Ego and the I, 1946
Matta - Catalogue de l'exposition Matta au Centre Pompidou
en 1985 - P144
Splitting the Ergo, 1946
Matta - Catalogue de l'exposition Matta au Centre Pompidou en
1985 - P145
Le Pélerin du doute, 1947
Matta - Catalogue de l'exposition Matta au Centre Pompidou en 1985
- P151
9
Projections
Enfin, Matta se décide vers les années 1950 à
attaquer le problème de l'espace à 4 dimensions de
front. C'est à dire à aborder la question
sous l'angle des projections. D'où une série
de tableaux dans lesquels un objet assez complexe se trouve placé
au centre d'un ensemble de quatre plans de projection.
Si l'on excepte
Le Temps à
l'oeuvre, (date ?)
Matta -
Catalogue de l'exposition Matta au Centre Pompidou en 1985 -
P77
qui, lui, n'a que trois plans de projection, appartiennent visiblement à
cette série :
Le Cube ouvert, 1949
Matta - Catalogue de l'exposition
Matta au Centre Pompidou en 1985 - P161
Scie le désir, 1957
Matta - Catalogue de l'exposition Matta au Centre Pompidou
en 1985 - P181
Etre cible nous monde, 1958
Matta - Catalogue de l'exposition Matta au Centre Pompidou en
1985 - P180
L'impencible, 1957
Matta - Catalogue de l'exposition Matta au Centre Pompidou en
1985 - P183
Défenestrer les mondes, 1958
Matta - Catalogue de l'exposition Matta au Centre Pompidou en
1985 - P187
The infancy of concentration , 1958
Et la perséverance de Matta dans son l'effort de résolution
du problème nous est aimablement rappelée en 1983
par
Le Vitreur, 40 ans après, 1983
Matta - Catalogue de l'exposition Matta au Centre Pompidou en
1985 - P253
Point d'appui, 1983
10
Reconstruire l'Oeil
Mais pourquoi donc Matta et Duchamp ont-ils passé une part si
importante de leur vie sur un problème qui après tout est peut-être
insoluble et qui pris en lui même ne semble pas si important ? Duchamp qui
est allé très très loin dans la question des dimensions et des
perspectives s'en explique merveilleusement à sa manière dans "Etant
donnés...". Matta quant à lui est beaucoup plus explicite quant à sa
formulation de l'enjeu. Il s'agit et bien de révolutionner la pensée
!
"Sans
vision de l'oeil, toute représentation reste aveugle. Et les raisonnements
qui s'ensuivent restent insuffisants, impuissants. C'est par rapport aux
horizons que le verbe VOIR peut construire (servir à construire) la
corrélation des perspectives et prospectives"
Matta
- Catalogue de l'exposition Matta au Centre Pompidou en 1985 - P76
"L'administration manque
d'images pour administrer. Nous n'avons pas de cartes, dans le sens
géographique, des morphologies du matérialisme social; de même nous
n'avons ni conventions géométriques ni conventions algébriques. Parmi les
disciplines traditionnelles du verbe voir, il y en a d'autres que celles
que l'on appelle Optique. C'est avec ces autres disciplines que le verbe
Voir pourrait élaborer une géographie sociale et pourrait voir ce que l'on
ne voit pas"
Matta - Catalogue
exposition Matta au Centre Pompidou en 1985 - P78
"Il
faudrait voir l'espace social, dresser une première carte des
navigations sociales dans l'océan économique"
Matta - Catalogue
exposition Matta au Centre Pompidou en 1985 - P78
"Une carte
du social. Montrer aux gens ce qu'ils n'ont pas l'idée de voir, ou ce
qu'ils cherchent vainement à voir : leur navigation solitaire dans la
communauté, dans ce paysage apparemment sans arbre, où planent en
géométrie non-plane des zones de pression économiques, que strient des
lignes de décisions politiques, etc..."
Matta - Catalogue
exposition Matta au Centre Pompidou en 1985 - P78
Les modélisations du réel et les simulations rendues
possibles par les développements de l'informatique, de
l'électronique et des techniques de communications ont
commencé de réaliser une petite partie du programme de
Matta. Mais il reste que le point de vue de Matta comme le montrent les citations
ci-dessus s'attache principalement aux aspects pour ainsi dire
extérieurs de la vision, ceux qui se rapportent à la
chose à voir.
Mais à proprement parler, il n'y a rien à voir. Les sciences cognitives en ce qu'elles touchent aux processus de la
perception tentent d'approcher les questions liées aux aspects
intérieurs telles que les avait aussi
abordées Duchamp dès l'origine. (et dont il était
assez conscient puisque, lorsqu'ayant commencé d'explorer l'art
cinétique avec les Disques Optiques et les Rotoreliefs, il conclut dans Anemic Cinema qu'il suffit au fond de laisser agir le cerveau du spectateur.
Enfin, à supposer que les progrès réalisés
dans les deux parties du programme de Duchamp indiquées ci
dessus soient significatifs, il resterait - pour se trouver un
peu à la hauteur des vues de l'art du début du XX
ème siècle - à s'aventurer dans les diverses
directions de plongements de l'acteur esthétique
(créateur-spectateur) dans la forêt des dimensions
qu'illustre l'oeuvre de Duchamp dans tant de ses aspects, du Jeune homme triste dans un train à Etant donnés...
l'approximation démontable de Philadelphie. Chose dont, par le
fait d'une certaine absence d'esprit, ni les idées
situationistes - pourtant de quelques conséquences - ni bien
sûr les expériences de "réalité virtuelle" ou les "installations" de l'art contemporain ne semblent constituer même une ébauche.
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